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Contribution. Le Rif en mode révolte (Dr Mohamed Chtatou) – Deuxième Partie

Publié le 20 juin 2017 à 0:32 Contribution. Le Rif en mode révolte (Dr Mohamed Chtatou) – Deuxième Partie

Le Rif brimé par le Maroc officiel

Le soulèvement armé du Rif de 1958-1959 en réalité n’était pas dirigé contre la monarchie mais plutôt contre le Parti de l’Istiqlal, qui voulait s’accaparer du pouvoir pour instituer le parti unique, comme c’était le cas dans plusieurs pays arabes. Dans le temps, le futur roi Hassan II qui était Moulay Hassan, prince héritier, anxieux de devenir roi à la place du roi a vu en ce soulèvement une occasion en or pour affirmer son autorité politique et militaire et se débarrasser à la fois du Rif frondeur et de l’Istiqlal usurpateur. Contre l’avis de son père Mohammed V, plutôt attiré par le dialogue politique et l’intermédiation sociale. Moulay Hassan écrasa militairement le Rif.

À la fin de Janvier 1959, le soulèvement a été réprimé par une force militaire de 30 000 hommes commandée par le prince héritier Moulay Hassan et mise sous les ordres du général Oufkir. Après la fin du soulèvement, le Rif a été soumis à un régime militaire pour plusieurs années et l’héritage le plus ruineux de ce soulèvement fut la négligence complète et la marginalisation de la région par les autorités marocaines au cours des décennies suivantes.

Cette marginalisation allait devenir encore plus accentuée après le soulèvement populaire de 1984 qui fut réprimé, lui aussi, dans le sang parce que pour Hassan II, le Rif était toujours militarisé  et la région toujours en dissidence ouverte contre la monarchie et l’état.

A son accession au trône  en 1999, Mohammed VI avait entamé, de bon cœur, un processus de réconciliation avec le Rif, faisant plusieurs déplacements à Alhoceima et à Nador et inaugurant maints projets d’envergure mais n’allant pas suffisamment dans le sens des besoins de la population. Les bonnes intentions du Roi Mohammed VI pour le développement du Rif ont été totalement exaspérées par les lenteurs administratives, la corruption des élus et le mauvais choix des élites locales.

La goutte qui a fait déborder le vase

Le tremblement de terre émotionnel qu’a connu le Maroc le 30 octobre 2016 à la suite du décès de Mohcine Fikri a été, sans aucun doute un événement très dangereux pour l’avenir du Maroc . La classe politique et l’establishment devaient, dans le temps, en tirer immédiatement les leçons qui s’imposaient pour l’avenir, et il faut le dire que l’avenir est très sombre et l’ « exception marocaine » est en grand danger pour ne pas dire le Maroc en tant que tel.

Le Hirak du Rif est le résumé du ras-le-bol marocain dans sa totalité. Les événements d’Alhoceima c’est le printemps marocain en gestation. Cette mouvance populaire a mis à nu la précarité des Amazighes et la réalité du jeu politique au Maroc. Les partis politiques ont tous été cooptés et, par conséquence, ont perdu leur virginité vis-à-vis de la population et le peuple est devenu l’opposition légitime parce que la nature n’aime pas le vide, et, ainsi, il est descendu dans la rue pour défendre ses intérêts et crier son marasme et son ras-le-bol.

Le Hirak du Rif est pacifique et légitime, l’état doit impérativement le prendre en charge : écoute, dialogue, intermédiation et réactivité et mettre en sourdine les appels des sirènes sécuritaires qui veulent le diaboliser et pousser le Maroc dans l’incertitude. Le Maroc est un pays du dialogue et du juste milieu, mais il va très mal présentement et la monarchie, comme dans le passé, doit se mettre à son chevet pour le remettre d’aplomb.

 

Vue panoramique d’Alhoceima

Au Maroc aujourd’hui, il y a deux classes distinctes : la classe gouvernante, qui est faite de politiques, industriels, argentiers, rentiers, bourgeoisie, etc., riches comme crésus et le peuple qui comprend des fonctionnaires endettés jusqu’à l’os et des démunis qui vivent du jour au jour. Pour rappel, la classe moyenne qui sert d’ « absorbeur de chocs » entre les riches et les pauvres, a disparu il y a fort longtemps.

Le PJD, un « paracétamol » qui ne calme plus les douleurs

En 2011, au fort du Printemps arabe, le roi, en bon et loyal pompier, proposa au peuple marocain une constitution-relais pour une monarchie constitutionnelle future. Cette constitution ouvra la porte grande pour l’arrivée des Islamistes au pouvoir, ce qui fut le cas, en grande pompe.

Pendant 5 ans, de 2011 jusqu’à 2016, les Islamistes « paracétamols » calmèrent les multiples douleurs de la société marocaine sans avoir réussi aucunement à diagnostiquer le mal. Pour justifier leur impuissance à résoudre les grands problèmes et maux du pays, à l’approche des échéances d’octobre 2016, ils évoquèrent le concept de ta7akkoum, qui, en des termes clairs, veux dire que les grandes décisions restent entre les mains du shadow cabinet (entourage du monarque), pour ne pas dire les mains du souverain.

Les Islamistes voulaient se dédouaner craignant le backclash du peuple. Il vrai que certaines décisions peuvent être influencées par l’entourage royal mais c’est minimal. Toutefois, à la stupeur de beaucoup, ils furent réélus avec plus de sièges au parlement mais moins de mordant politique, sur un agenda purement religieux et non économique.

Mohcine Fikri, le poissonnier broyé dans la benne du camion à ordure en Octobre 2016

Le mal viscéral du peuple c’est le chômage et la 7ogra

Durant leurs nombrables campagnes électorales, le PJD et le reste des partis font des promesses creuses au petit peuple de lui fournir l’emploi synonyme de dignité.

Généralement tous les partis politiques marocains font des promesses sans se baser sur des études scientifiques préalables. En clair, les partis politiques marocains n’ont point de programme économique ou autre et ne peuvent aucunement créer les emplois tant souhaités par le peuple pour survivre dans un système économique libéral sauvage et inhumain. Ils ont de la littérature politique qu’ils mettent à jour à l’approche des échéances électorales, d’où leur échec populaire strident.

Déçu, depuis plusieurs lunes, de la performance des partis politiques marocains, le peuple ne daigne même pas voter : 7 octobre 2016 : 57% d’abstention. L’abstention, toutefois, n’arrange en aucun cas les doléances sempiternelles du peuple marocain qui souffre et souffre en silence de la 7ogra (humiliation).

Que faire ?

Le Hirak, est une mouvance sociale et économique légitime, un cahier de doléances d’une région amazighe meurtrie par la marginalisation politique et économique, mais c’est aussi une bombe à retardement qui peux exploser à n’importe quel moment et déstabiliser le pays, sinon toute la région.

Les gens du Rif sont unionistes et pas séparatistes. Ils sont fiers de leur marocanité. La tribu des Ait Ouriaghel a défait l’Espagne sous Ben Abdelkrim, pour la grandeur du Maroc et la tribu des Gzennaya a défait la France dans le « Triangle de la Mort » en Octobre 1955, pour l’indépendance du pays.

Malheureusement en dépit de ses grands faits d’arme Rabat avait carrément oublié le Rif parce qu’apparemment celui-ci avait blessé Hassan II dans son égo et son amour propre à tel point qu’il avait oublié qu’il était le roi de tout le Maroc avant d’être le citoyen Hassan Ben Mohammed.

Pour éviter l’explosion générale et l’effet domino de la mouvance Alhoceima, il est indispensable d’entreprendre d’urgence ce qui suit ;

A court terme :

  1. Intervention royale ;
  2. Dialogue tous azimuts avec le Hirak ;
  3. Mettre sur pied un Plan Marshall pour le Rif ;
  4. Mettre sur pied un think-tank de chercheurs et intellectuels rifains pour fournir des études sur la région (sociologie, anthropologie, histoire, us et coutumes, etc.) qui est mal comprise par le gouvernement central ;
  5. Créer des structures universitaires à Alhoceima et Nador ;
  6. Rapatrier la dépouille de Ben Abdelkrm al-Khattabi du Caire et lui donner un enterrement officiel et insérer son épopée dans les manuels scolaires ;
  7. Célébrer annuellement les batailles d’Anoual et de Dhar Aberran.

A long terme :

  1. Créer des « Provinces de Montagne » dans les régions montagneuses du pays, avec budget spécial, pour entreprendre un développement régional équitable ;
  2. Créer un centre de recherche pour le développement du Maroc profond ;
  3. Faire connaitre le Maroc profond ;
  4. Adopter un fédéralisme dynamique au lieu d’un régionalisme statique.

Lire : Le Rif en mode révolte – Première Partie

Notes :

 

 

http://article19.ma/accueil/archives/52392  
  http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/04/28/nasser-zefzafi-l-insurge-du-rif-  – 
marocain_5119611_3212.html 
https://www.rifonline.net/Tension-dans-le-Rif-Nasser-Zafzafi-denonce-un-imam-qui-s-est-attaque-a-la-mouvance-contestataire-rifaine-pendant-le_a1550.html  
  
  http://fr.le360.ma/societe/al-hoceima-25-milliards-dh-investis-dans-le-developpement-en-12-ans-118797  
Le DERRO est le Projet de Développement du Rif Occidental. Il avait été lancé en 1963 dans tout le Rif occidental et avait touché tahar souk de plein fouet, avec l’aide internationale, particulièrement Européenne ; ( France, Belgique, Suède… ), avec comme objectifs principaux :  
• Protéger le Gharb des crues à répétition de l’oued Ouergha et de ses affluents..  
• Développer socialement le Rif en arborisant ses terres et en les protégeant ses flancs d’une érosion destructrice à plus d’un titre.  
• Vulgarisation agricole surtout par l’organisation des petits fellahs dans des coopératives arboricoles notamment et en leur faisant découvrir les biens faits des nouveautés dans les domaines de la recherche agronomiques et l’usage des engrais. 
  Yazami-Stait, M. 1988. Le DERRO vingt-cinq ans après: milieux naturels et aménagement à Taounate (1960-1985).420 pages. 

  Coon, C. S. 1931. Tribes of the Rif. Cambridge, MA: Harvard African Studies. 
Hart, David M. 1976  The Aith Waryaghar of the Moroccan Rif: An Ethnography and History. (Viking Fund Publications in Anthropology No. 55). Tucson: University of Arizona Press, for Wenner-Gren Foundation for Anthropological Research. 
  Hart, D. M. 2007. Aith waryaghar, Qabila mena Rif al-Maghribi: Dirasa ithnoghrafiya wa Tarikhiya. Den Haag: Stem van Marokkaans Democraten-Nederland. Volume 1 et 2. Traduit: M. Ouniba, A.Azouzi et A. Rais 
Mouliéras, A. 1895. Le Maroc Inconnu. Première partie : Exploration du Rif. Paris : Librairie Coloniale et Africaine. 
  Dumas, P. 1927.  Abd-el-krim. Toulouse : Éditions du bon plaisir.

  Charqi, M. 2003. My. Mohamed Abdelkrim El Khattabi, L’Emir Guerillero Sale, Morocco : Imp Beni Snassen. ISBN 13: 9789981957725

 
  Rapport de décembre 1924 au président Édouard Herriot. 
  Maria Rosa de Madariaga, 2009. Abdelkrim El-Khattabi, La lutte pour l’indépendance. Madrid : Éd. Alianza Editorial, 
  Laroui, A. 1982. L’histoire du Maghreb: Un essai de synthèse, François Maspero, 1982, p. 326. 
http://www.yourmiddleeast.com/opinion/a-fish-vendors-death-almost-triggered-a-moroccan-spring_43922  
 

 

 

http://article19.ma/accueil/archives/52392 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/04/28/nasser-zefzafi-l-insurge-du-rif- marocain_5119611_3212.html https://www.rifonline.net/Tension-dans-le-Rif-Nasser-Zafzafi-denonce-un-imam-qui-s-est-attaque-a-la-mouvance-contestataire-rifaine-pendant-le_a1550.html http://fr.le360.ma/societe/al-hoceima-25-milliards-dh-investis-dans-le-developpement-en-12-ans-118797 Le DERRO est le Projet de Développement du Rif Occidental. Il avait été lancé en 1963 dans tout le Rif occidental et avait touché tahar souk de plein fouet, avec l’aide internationale, particulièrement Européenne ; ( France, Belgique, Suède… ), avec comme objectifs principaux : • Protéger le Gharb des crues à répétition de l’oued Ouergha et de ses affluents.. • Développer socialement le Rif en arborisant ses terres et en les protégeant ses flancs d’une érosion destructrice à plus d’un titre. • Vulgarisation agricole surtout par l’organisation des petits fellahs dans des coopératives arboricoles notamment et en leur faisant découvrir les biens faits des nouveautés dans les domaines de la recherche agronomiques et l’usage des engrais. Yazami-Stait, M. 1988. Le DERRO vingt-cinq ans après: milieux naturels et aménagement à Taounate (1960-1985).420 pages. Coon, C. S. 1931. Tribes of the Rif. Cambridge, MA: Harvard African Studies. Hart, David M. 1976 The Aith Waryaghar of the Moroccan Rif: An Ethnography and History. (Viking Fund Publications in Anthropology No. 55). Tucson: University of Arizona Press, for Wenner-Gren Foundation for Anthropological Research. Hart, D. M. 2007. Aith waryaghar, Qabila mena Rif al-Maghribi: Dirasa ithnoghrafiya wa Tarikhiya. Den Haag: Stem van Marokkaans Democraten-Nederland. Volume 1 et 2. Traduit: M. Ouniba, A.Azouzi et A. Rais Mouliéras, A. 1895. Le Maroc Inconnu. Première partie : Exploration du Rif. Paris : Librairie Coloniale et Africaine. Dumas, P. 1927. Abd-el-krim. Toulouse : Éditions du bon plaisir. Charqi, M. 2003. My. Mohamed Abdelkrim El Khattabi, L’Emir Guerillero Sale, Morocco : Imp Beni Snassen. ISBN 13: 9789981957725 Rapport de décembre 1924 au président Édouard Herriot. Maria Rosa de Madariaga, 2009. Abdelkrim El-Khattabi, La lutte pour l’indépendance. Madrid : Éd. Alianza Editorial, Laroui, A. 1982. L’histoire du Maghreb: Un essai de synthèse, François Maspero, 1982, p. 326. http://www.yourmiddleeast.com/opinion/a-fish-vendors-death-almost-triggered-a-moroccan-spring_43922

 

 

 

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