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OPINION. Aspects de la Montée de l’Islamisme au Maghreb (Dr Mohamed Chtatou)

Publié le 27 septembre 2017 à 20:20 OPINION. Aspects de la Montée de l’Islamisme au Maghreb (Dr Mohamed Chtatou)

Au milieu des années cinquante et au début des années soixante du siècle dernier, après l’indépendance du colonialisme français, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie, se sont embarqués dans la modernité sans rechignement, mais, toutefois, prudemment et sûrement. 

Ainsi, les femmes ont reçu  l’éducation, sur un pied d’égalité que les hommes, et, ainsi, le chemin a été balisé pour plus d’égalité et d’équité  entre les sexes dans le futur. En Tunisie, tout de suite, cette égalité a été rendue encore plus réelle et substantielle, sous la direction du président Habib Bourguiba, le héros national de l’indépendance, qui a offert aux femmes, sur un plateau d’argent, un code de famille, considéré comme le plus audacieux et le plus  avancé de son genre dans le monde arabe, du temps, très traditionnel, tribal à outrance, patriarcal de nature et conservateur dans l’âme.

Au début des années 1970, il y avait une montée, sans précédent,  du socialisme et du communisme dont le but escompté était de renverser la monarchie au Maroc et  créer des entités socialistes en Algérie et en Tunisie. Ce grand projet de société a échoué lamentablement au Maroc et en Tunisie, mais a réussi en Algérie. Néanmoins, les trois pays étaient assurément sur le chemin de la modernité, mais pas celui de la démocratie

Au Maroc, après les coups d’état militaires de 1971 et 1972, la monarchie exécutive se répressiva davantage, une période qui a été étiquetée « années de plomb »; en Algérie l’absolutisme socialiste de Boumedienne est devenu pratique courante, alors que la Tunisie s’est transformée en une dictature éclairée.

Montée de l’Islamisme

En 1979, avec l’avènement de la Révolution iranienne et l’accaparation du pouvoir par les Mollahs, la région arabe connaissait, par ricochet, un grand changement: la montée de l’Islamisme. Cette poussée a été rendue inévitable par deux événements importants: la détermination de la théocratie iranienne d’exporter sa révolution chiite vers le reste du monde musulman et, en particulier, le monde arabe et la prise de contrôle militaire et politique de l’Afghanistan par l’URSS en 1979.

Menacés par le Grand Ours dans le nord et le chiisme persan à l’est, les pays du Golfe arabe ont réagi, sans penser aux conséquences, en finançant le jihad salafiste, pour combattre, d’abord, les Soviétiques en Afghanistan et plus tard l’influence chiite au Moyen-Orient. Ce qui provoqua automatiquement, ainsi,  la naissance de l’al-Qaïda, une nébuleuse terroriste et insaisissable à la sauce du wahabisme, Islam tribal et austère de l’Arabie Saoudite et plus tard, Daesh.

Ce fut le début de l’influence orientalisante ( shar9anat)  du monde musulman par la pratique religieuse, le code vestimentaire et un vaste programme de prédication ( da3wa) tous-azimuts,  en utilisant la littérature, la télévision, la radio et l’Internet pour diffuser les préceptes de l’Islam radical et du wahhabisme, appelant les citoyens, pour un retour à la tradition bienveillante des bons et pieux musulmans du passé ( salaf sali7) .

Islamisme au Maghreb

Comme ce retour au passé avait déjà eu lieu au Moyen-Orient, les pays du Maghreb ont décidé de faire de même, par pur suivisme, en commençant par l’arabisation catastrophique des programmes d’enseignement afin de contrer, soi-disant, l’influence culturelle française et occidentale. Cette action insensée, dictée par un Islamisme mitigé et un nationalisme pur et borné,  allait, par la suite, avoir de terribles conséquences au Maghreb tant sur le plan économique, societal que culturel.

Au Maroc, la montée de la ferveur militante islamiste de la Chabiba Islamiyya, fondée par Abdelkrim Moutii et aussi d’Al Adl Wal Ihsane, deux organisations salafistes qui ont défié le pouvoir royal et ont nié, ouvertement, à la monarchie Alaouite conservatrice, ses légitimités religieuses et historiques. Le chef de cette dernière composante politique, Abdessalam Yassine, avait même « osé » envoyer à Hassan II une lettre en 1973 intitulée: « L’Islam ou le déluge» dans laquelle il a demandé, candidement, au monarque alaouite d’abandonner la modernité:

« Balayer les partis politiques de côté et venir ici pour s’asseoir ensemble: vous, moi- même et l’armée ».

Exaspéré par cette lèse-majesté flagrante et sans précédent dans l’histoire moderne du Maroc, feu Hassan II ordonna à mettre le feu Cheikh Yassine en internement psychiatrique, la pire des punitions possibles pour un homme sain d’esprit.

En Algérie, le FIS (Front Islamique du Salut), parti Islamiste à outrance, a été fondée en 1989. Ce parti fraîchement constitué gagna, haut la main, plus de la moitié des suffrages valables aux élections municipales en 1990, et atteint un pourcentage  de plébiscite lors des élections législatives de 1992 sur le slogan: « L’Islam est la solution». Menacée dans son existence par ce mouvement politique, l’armée  dans un geste de putsch annula les résultats des élections générales, dissolvait le parti et emprisonna ses cadres en 1992. Cela a conduit inéluctablement, dans le temps à une guerre civile sanglante qui a duré jusqu’en 1998 et qui fut connue sous le nom de « décennie noire » et a coûté la vie à 250.000 personnes, majoritairement des civils soit pris entre deux feux ou tué par pur vengeance.

En Tunisie, le « président à vie » Habib Bourguiba, sénile, gâteux et capricieux  a été renversé par un coup d’état, sans effusion de sang, par son Premier ministre, le très ambitieux général Zine el-Abidine Ben Ali, en 1987, qui a immédiatement renforcé son pouvoir autocratique à travers une forme tribale de présidence fondée sur la corruption, le népotisme, la cooptation et la répression policière, sans précédent.

Sa république moderniste, ambitieuse et très personnifiée a été immédiatement rejetée par les Islamistes tunisiens d’Ennahda qui ont appelé à la réislamisation immédiate de la société. Ennahda, le porte-drapeau de l’Islam politique tunisien fut fondé en 1980, très influencée par la pensée religieuse et salafiste de Sayyid Qoutb et Mawdoudi. Ce parti islamiste, sous la direction de Rachid Al Ghannouchi, est probablement le plus démocratique et le plus modéré de l’ensemble du monde arabe,  soutenant à la fois le pluralisme politique et le dialogue avec l’Occident. Son attitude modérée, cependant, n’a pu le sauver de l’interdiction en 1989, et l’emprisonnement de 25 000 de ses militants en 1992. Exaspéré, Ennahda et ses dirigeants partent dare-dare  en Angleterre, où ils vont vivre en asile politique jusqu’à leur retour triomphal en Tunisie en 2011, après l’avènement du Printemps arabe.

Manifestations culturelles de l’Islamisme

Outre l’impact politique de l’ Islamisme sur le Maghreb depuis les années  1980, un autre aspect saillant et d’importance, dans cette région est, sans doute, le retour à la tradition et l’impact assourdissant de l’influence culturelle de l’Orient arabe ( shar9anat)  sur le grand Maghreb qui se matérialisa par un retour massif à la pratique religieuse et à la croyance salafiste, en particulier chez les jeunes, qui rejettent la culture occidentale moderniste et libertine, par réislamisation ferme et dure. 

Ce phénomène s’exprime, toujours aujourd’hui, sans équivoque, de la manière suivante:

Code vestimentaire:  9amis  ou 3abaya pour les hommes avec un turban ou  chechiyya  comme couvre- chef. Hijab pour les jeunes filles et  Ni9ab  ou  Bourka  pour les femmes mariées (Hijab total).  

Médecine alternative: utilisation de  tibb nabawi  (la médecine du Prophète) au lieu de la médecine conventionnelle et une large utilisation des plantes médicinales et la médecine religieuse ( ro9ya de char3iya).

TV islamique: regarder des émissions islamiques qui  propagent, en boucle, les messages de prédicateurs populaires tel l’égyptien Omro Khaled, versets psalmodiés du Saint Coran, talk shows et chants religieux (anachid) .

Le langage religieux: utilisation d’expressions d’inspiration religieuse tels que  jazak Allahu khayran  au lieu de  choukrane, utilisation de  salam alaikoumau  lieu de  ‘ahlan  et d’ Allah ikhalik « s’il te plait » au  lieu des  men fadlek , etc.

Prière: entreprendre la plupart des prières à l’heure exacte et dans la mosquée, en communauté, même pendant les heures de travail. Les magasins sont fermés pendant les heures de prière et le vendredi.

Mosquées: aider à recueillir des fonds pour construire des mosquées et des lieux de prière partout.

Collecte de la Zakat: aider à collecter la  Zakat  (taxe religieuse de 10% sur le gain annuel) et l’utilisation de cet argent pour aider les pauvres à payer pour l’éducation de leurs enfants, les frais d’hospitalisation ou l’achat de médicaments des nécessiteux ou démarrer bonnement une entreprise.

Distribution alimentaire en faveur des indigents: Organiser des ruptures du jeûne collectifs ( iftar)  pendant le Ramadan et distribuer des moutons gratuits aux pauvres pour la fête du sacrifice ( 3id al ad7a) .

Adoption de la finance islamique : boycott des banques à intérêts « usuriers » (riba) et encouragement de l’institution de banques islamiques participatives.

Ouverture des écoles coraniques : aider à collecter des fonds pour ouvrir des écoles coraniques fin de permettre aux enfants des croyants musulmans d’obtenir une éducation religieuse gratuite sous l’égide de cheikhs salafistes dont le « seul but dans la vie est la gloire de l’Islam et la diffusion de sa parole divine ». Les enfants des écoles coraniques serviront, à bon escient plus tard, dans l’action politique ainsi que dans la prédication.
 

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