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OPINION.Le manque d’une vision lucide et d’une stratégie claire de la gestion hydrique, une menace au centre des enjeux économiques, sociaux et environnementaux : exemple de la province d’Al Hoceima

Publié le 9 janvier 2016 à 23:27 OPINION.Le manque d’une vision lucide et d’une stratégie claire de la gestion hydrique, une menace au centre des enjeux économiques, sociaux et environnementaux : exemple de la province d’Al Hoceima

L’eau qui est une source vitale est également un facteur déterminant dans l’activité des sociétés humaines. Sa présence contribue au développement économique comme elle peut le retarder par son action destructrice que ce soit lors des épisodes pluvieux exceptionnels ou par son action déstabilisatrice au sein des massifs. C’est le cas dans le Rif soumis, de manière permanente, aux aléas naturels dont l’eau constitue le facteur déterminant.

Les dégâts causés par les catastrophes naturelles, dont les glissements de terrain ou encore les écroulements de massifs rocheux, ont toujours engendré un climat d’anxiété chez la population rifaine, et cela depuis plusieurs décennies. La seule route (N39) reliant Al Hoceima à Tétouan est jonchée de dangers. La construction d’une nouvelle liaison, Rocade Méditerranéenne, inaugurée en 2011 qui devait palier à ces problèmes n’a été qu’un vain rêve et une illusion. Pourtant des études menées avait mis l’accent sur les dangers qui guettaient cette nouvelle route (El Khattabi, 2001 ; El Khattabi et al. 2002, 2003 et 2004) et des solutions pouvaient être envisagées pour garantir la stabilité du projet et la sécurité des usagers. Aujourd’hui, les interruptions du trafic sont fréquentes, le danger est permanent et les autobus ne sont plus autorisés à l’emprunter. Cet état de fait pose des questions sérieuses sur la politique menée par l’état en la matière pour sécuriser le réseau routier et ses infrastructures.

Dans un autre volet, avec une pluviométrie dépassant les 800 mm/an, les versants de l’Ouest rifain se hissent au premier rang au niveau national. Un contraste manifeste avec l’Est rifain marqué par des précipitations ne dépassant guère les 300 mm/an. Au regard de ces variations climatiques, il serait évident au sein de cette entité géographique cohérente issue d’un même bouleversement orogénique alpin, d’envisager un transfert de la ressource intra-bassin de la zone excédentaire vers la zone déficitaire.

Cette connexion Ouest-Est peut être secondée par un autre transfert, cette fois-ci inter-bassins dans le cadre de la solidarité nationale et appuyé par la politique d’équilibrage des besoins en eau au sein des bassins. Mais voilà que ces dernières années l’alimentation en eau potable des foyers que composent le tissu urbain d’Al Hoceima et ses environs a atteint une situation d’une gravité sans précédents. Le barrage Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi, grand ouvrage d’alimentation en eau potable a atteint l’été 2015 le seuil critique.

Au jour d’aujourd’hui son taux de remplissage n’est que de 40%, 12% de moins par rapport à l’année dernière à la même date. L’urbanisation et les projets lancés pour développer la région ne semblent pas avoir alerté les consciences mal vaillantes afin d’accompagner les besoins que nécessiterait cette expansion. Ce n’est que récemment que des projets sont annoncés de manière spéculative sans informations concrètes. Ainsi, le ministère est resté vague sur ces projets annonçant tantôt la construction d’un nouveau barrage sur oued Rhis et tantôt la mise en place d’une station de dessalement au niveau de la plage Sfiha. Tout cela dans un silence complice des représentants de la région.

Dans cette cacophonie, il est donc légitime de poser la question sur l’existence d’une stratégie réelle et sérieuse de l’état! N’y a-t-il pas un Conseil Supérieur de l’Eau et du Climat (CSEC) lancé en 1981 et qu’il est son avis ? Pour mieux illustrer ce dysfonctionnement, j’aborderai le cas de la région d’Al Hoceima plus en détail.

Récemment un parlementaire de la région vient d’annoncer via les réseaux sociaux la construction d’un nouveau barrage entre les rives de l’oued Rhis. Une information qui émanerait de la Ministre en personne. Malgré, la satisfaction du parlementaire, il est important de rappeler les inconvénients et les avantages d’un tel projet. Sachant que cette option avait été écartée en faveur d’un autre système de production de l’eau douce, intégré dans le projet « Al-Hoceima, Manarat Al Moutawassit » (Al Hoceima, ville phare de la Méditerranée) présenté au Roi le 17 octobre dernier. Il s’agit de la mise en place d’une station de dessalement de l’eau de mer qui à mes yeux n’est pas seulement un projet non viable d’un point de vue économique (coût de fonctionnement et production), mais il peut s’avérer catastrophique pour l’environnement. En effet, le rejet de la saumure au sein de la baie d’Al Hoceima peut impacter les équilibres environnementaux, notamment la présence des espèces halieutiques qui font la réputation de la région. D’autant plus qu’aucune étude préliminaire n’a été lancée pour évaluer cet impact.

Ce projet, et malgré le choix de l’option grand ouvrage barrage, n’est pas pour autant écarté. Il est probable qu’elle serve un autre projet immobilier très contesté dans la région en raison de ses répercussions néfastes sur le milieu environnemental (forêt littorale) et la spoliation de la terre de la population ancestrale par les eaux et forêts et son transfert à la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG) et sa filiale Compagnie Générale Immobilière (CGI).

Pour revenir à la construction du barrage, il faudra dans un premier temps évoquer l’état actuel de l’ouvrage bâti sur l’oued Nekor et comprendre ses dysfonctionnements pour éviter de les reproduire. Ce barrage qui a été conçu pour maintenir et développer l’activité agricole de la plaine de Nekor et accessoirement constituer une réserve d’eau en cas de besoin, ses réserves pluri-annuelles, se sont transformées progressivement en réserves annuelles.

Cette transformation a été accélérée par l’utilisation croissante de la réserve pour la distribution de l’eau potable accompagnant l’urbanisation de la région. Au-delà de ce premier aspect, la situation du barrage s’est détériorée suite à :

1. Son envasement, un phénomène suffisamment connu et étudié scientifiquement par plusieurs équipes. Avec un taux élevé (en moyenne 2000 à 2400 T/km²/an), le même taux s’élevait en 1990 à 6000 T/km²/an (Lahlou, 1990) ce qui correspond à 6.3% soit 12 fois la moyenne nationale (0.5%) de l’époque. D’autres études récentes fixent ce taux à 2.2%. Il n’est pas étonnant que notre région soit marquée par un tel phénomène naturel. En effet, le pourtour méditerranéen, et en particulier, les pays de la rive sud marqués par un climat semi-aride, se distinguent par un taux d’érosion un des plus élevés au monde. Compte tenu de ces éléments, comment expliquer l’attentisme et le manque d’une vision lucide et d’une stratégie claire des services de l’état concernés.

2. La perte de cette capacité, par la sédimentation qui s’opère au sein du barrage, se conjugue à celle de l’évaporation et cela pour les mêmes raisons climatiques, la lithologie des formations géologiques et la géomorphologie de la chaîne rifaine. L’eau retenue dans le barrage subie des pertes considérables par une évaporation constante qui atteint son maximum lors des périodes estivales de fortes chaleurs (1900 mm selon le ministère).

3. Dans toutes les villes du monde pourvues de services compétents de gestion de la ressource, un des points d’amélioration du rendement est de s’attaquer aux défaillances repérées sur le réseau de distribution. De nos jours, les techniques sont diverses et variées et surtout banalement mises en œuvre. Al Hoceima et les villes limitrophes, non seulement souffrent de recherches pathologiques du réseau, mais elles sont victimes d’une gestion déraisonnée et irresponsable de la société ONEP. Les fuites qui affectent les réseaux défectueux d’eau et d’assainissement sont fréquentes. Au moment où les villes du monde s’engagent dans la voie des « smart city » les villes du nord du Maroc s’embourbent dans la mauvaise gestion des systèmes basiques.

4. Au regard des nombreux inconvénients du système barrage ou retenue des eaux de surface comme moyen unique d’approvisionnement des villes en eau potable est sujet à discussion ! A ces inconvénients (envasement, évaporation,…) s’ajoute le risque de pollution des eaux de surface qui ne sont pas à l’abri des contaminations diffuses ordinaires et/ou accidentelles et malheureusement la loi marocaine n’est pas contraignante en termes de mise en place des périmètres de protection. Le système barrage comme point unique d’approvisionnement est sous la menace permanente d’un dysfonctionnement qui empêcherait l’approvisionnement des foyers. Les risques concernent une pollution délibérée ou simplement une défaillance importante dans le réseau principal.

D’un point de vue qualité environnemental, une digue sur oued Rhis, constituera un piège pour la matière organique, élément essentiel pour le maintien de l’écosystème littoral dont certaines espèces font la particularité de la baie de Nekor. Pour éviter un tel drame, le maintien du choix de construire le barrage sur Rhis doit s’accompagner de nouvelles techniques : c’est le cas par exemple des ouvrages souterrains.

Ce type de barrage qui a été conçue au départ pour les pays du Sahel, il est de plus en plus mis en œuvre sur la rive sud méditerranéenne, en particulier chez notre voisin algérien. Avec un tel système, les avantages sont nombreux : un très faible coût lors de la phase de construction et de gestion, pas d’obstacle pour retenir la matière organique, pas de perte de foncier, pas d’évaporation ni d’envasement, protection de la ressource de toute pollution. Il est vrai qu’un tel système ne pourrait pas offrir la même capacité, mais toutefois, il resterait avantageux si les études préliminaires confirment sa faisabilité. A cette option on peut y intégrer un système composé de champs captant divers.

Ces solutions multi-ressources permettent de mettre en place une nouvelle stratégie de la gestion et de distribution de la ressource. Elle peut prolonger l’usage de l’actuel barrage ou mieux gérer les nouveaux choix. Afin d’alléger la pression qui s’exerce sur le système barrage. Ainsi, de nombreux villages pourraient être alimentés par le biais de forages de proximité. En effet, malgré la faible puissance de nos nappes, leur capacité de production peut être suffisante pour des villages à nombre restreint d’habitants.

A travers cette brève contribution, j’ai mis l’accent sur des sujets fondamentaux qui intéressent le développement du Rif. Ce dernier est sujet à de nombreux problèmes dont l’eau est l’acteur principal. Dans le cas des instabilités de versants, sa présence doit être quantifiée et étudiée pour un aménagement qui doit assurer la stabilité des massifs accueillant l’habitat, le réseau et ses infrastructures. Ces études doivent être globales s’intéressant à l’ensemble des facteurs qui concourent en faveur de l’instabilité. D’un point de vue ressource, sa carence dans la partie Est oblige les décideurs à engager la construction d’un nouveau barrage qui ne répond pas forcément aux besoins actuels et futurs de la région. Le développement économique, tant espéré, s’accompagnera de besoin croissant tant au niveau de la ressource que la gestion des eaux usées. Ne pas se préparer aujourd’hui « sérieusement » aux défis futurs, risque de compromettre les investissements que l’état pourrait engager dans la région. Les choix doivent être techniquement viables et surtout intégrer une approche durable pour que le développement économique soit créateurs d’emplois et respectueux de l’environnement. A partir de ces éléments, les décideurs doivent peser sérieusement leurs choix. Ces derniers, doivent être porteurs d’espoir pour une région qui en a grandement besoin.

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-Par Jamal EL KHATTABI, Vice-Président de l’Université de Lille, Sciences et Technologies Enseignant Chercheur, Géologie de l’Ingénieur Ecole Polytech’Lille, Laboratoire de Génie Civil et Géo-environnement Expert Hydrogéologue auprès de l’Agence Régionale de Santé (ARS)

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