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Rencontre avec une torche musicale (à Nador) [ Contribution de Anass ASSANOUSSI ]

Publié le 3 octobre 2017 à 21:11 Rencontre avec une torche musicale (à Nador) [ Contribution de Anass ASSANOUSSI ]

Tout avait commencé par le plus grand des hasards Ou comment la magie des rencontres humaines peuvent durablement marquer les individus.
 
Jeune Rifain ayant grandi à Paris, je dois dire qu’étant enfant et jusqu’à une période récente, je débordais rarement d’enthousiasme à l’idée de passer mes vacances d’été à Nador, dans mon Rif natal. En effet, les vacances étaient composées de lognues journées d’ennui passées à ne rien faire, parsemées ici et là de quelques journées à la plage, qui étaient loin d’être propres, et ponctuées de mariages, de baptêmes qui enchantaient mes parents. Autant dire que je faisais vite le tour.
 
Mais pour mes parents, il était impensable de passer ses vacances ailleurs qu’au Rif, de passer toute une année sans voir leurs familles. Souvent, lorsque je reprochais à mes parents le fait que l’on voyageait peu à l’étranger, hormis dans d’autres pays d’Europe où l’on avait de la famille (Allemagne, Espagne, Belgique), pour clore la discussion, mes parents avaient pour habitude de me dire: Khmini ra thamradh, atahadh mani thakhsadh (quand tu seras grand, tu iras où tu veux).
 
En fait, ce qui me frapapit ou me chagrinait lorsque je passais mes vacances au Rif, c’était l’absence d’aires de jeux pour enfants, le manque d’infrastructures, la saleté des rues, le peu de perspectives d’avenir pour une population très jeune, mais surtout l’absence de vie culturelle. Ayant grandi à Paris, haut lieu culturel par excellence, ville-lumière dont le rayonnement continue de réchauffer bien des âmes malgré l’américanisation du monde, il va sans dire que le décallage avec le Rif était grand…pour ne pas dire abyssal.
 
Je ne manquais cependant pas une occasion de défendre la réputation du Rif contre les préjugés qui lui collent à la peau (brigandage, contrebande, trafic de drogue…), et tentai de faire connaître quand je le pouvais mon cher Rif sous un autre jour auprès de mes compatriotes Français curieux de nature, ne demandant qu’à connaître d’autres peuples, d’autres cultures, d’autres histoires.
 
L’âge adulte arrivant plus vite qu’on ne le croit, la soif de voyage et de découverte insatiable, je l’admet, j’ai délaissé le Rif durant quelques années…J’ai découvert d’autres pays, d’autres contrées et paysages…Et puis malgré tout cela, comme on ne peut jamais vraiment oublier d’où l’on vient, l’appel du Rif se fit de nouveau sentir en moi, mais avec la ferme intention de le découvrir ou de le redécouvrir. C’est ainsi que depuis quelques années maintenant, je passe rarement des vacances au Rif sans être actif. Mes parents ayant le souci de nous apprendre la langue tarifit, nous parlait en rifain à la maison. En outre, je me souvenais que mes parents mon père surtout mettaient des chansons rifaines à la maison, dans la voiture, des chansons de Walid Mimoun, des groupes Ithrane ou Ino Amazigh, mais également du groupe Isafadawane (les torches).

 
Par un après-midi de juillet 2016 où il faisait très chaud, et alors que j’étais à Nador attablé à la terrasse du café Victoria; là où existait autrefois le cinéma Victoria construit par les Espagnols; je parlais de musique avec mon ami Fouad natif d’Azghanghane là où j’ai également des attaches familiales paternelles, nous déplorâmes le fait que beaucoup de chanteurs rifains cèdent à la facilité dans leurs chansons, ne parlent souvent que volonté d’exil, ou de mariage, sujets ressassés jusqu’à saturation. Qu’il semble loin l’époque de Walid Mimoud, d’Ino Amazigh, Ithrane. Mais aussi d’Isfdawane, s’empressa d’ajouter Fouad à ma liste. Je le regardais avec des yeux ébahis, et Fouad me regardait en me demandant ce que j’avais. Je le remerciais soudain d’avoir rappelé à ma mémoire, telle une madeleine de Proust, le nom de ce groupe qui semblait enfoui dans les oubliettes de mon cerveau. Alors nous nous mîmes à chanter de bon coeur une de leurs chansons les plus connues intitulé « Agharrabo negh », notre bateau :   

Agharrabo negh ath ndah sou fouss negh
Wa thi ndah al barani oura ra3dhou negh
Notre bateau on le guidera de nos propres mains
On ne laissera ni l’étranger, ni l’ennemi le guider

 
Et Fouad s’empressa de me révéler qu’il connaissait un de leurs membres Salah, qui coule des jours paisibles à Azghanghane, petite ville située non loin de Nador. Devinant ma réponse il se proposa de me le présenter. Ainsi quelques jours plus tard et de bon matin, nous voici attablés à la terrasse d’un café à Azghanghane devant le jardin municipal. En les rejoignant, Fouad me présenta Salah, mais je le saluai en fredonnant les paroles de leur fameuse chanson, et Saleh de répondre par un rire qui augurait plein de bonnes choses.
 
En lui disant qui j’étais, en lui racontant mon parcrours et de la nécessité de préserver le patrimoine et la culture rifaine, je lui demandais s’il pouvait me raconter ses belles années de lycéen, d’artiste bref son âge d’or de torche musicale. Me regardant avec un sourire malicieux, tout en reposant sa tasse de café et en allumant sa cigarette il me répondit avec joie qu’il était d’accord. Ne pouvant tout dire en une voire deux heures, nous convenâmes de nous retrouver aussi souvent que nous le pouvions en fin de matinée toujours au même café d’Azghaghane, capitale de la chanson rifaine!
 
Et c’est ainsi qu’il me conta ses rencontres au lycée Abdelkrim el Khattabi de Nador avec d’autres camarades, dont certains allaient finir par devenir les membres du groupe avec lui, leur action engagée et citoyenne pour défendre la langue, amazighe en générale et la culture rifaine en particulier. Au cours de nos quelques entretiens, je lui fis remarquer une fois que si l’on compare les moyens de la jeunesses d’aujourd’hui avec ceux dont dispose de la jeunesses d’aujourd’hui, et ce malgré un certain regain d’intérêt pour l’histoire, la jeunesse rifaine en son temps était plus impliquée que maintenant. Ce à quoi il ne pu se départir d’un large sourire tout en me disant que moi j’étais autorisé à le dire, mais que si lui le faisait on le prendrait de haut en disant que c’était un vieux con, qui pense que tout était mieux avant et qui ne sait pas vivre avec son temps. Ah l’incompréhension entre les génrations! Mais je m’empressais d’ajouter que c’est la prise de conscience qui fait la différence, peu importe les époques. Mais il ajouta que ça passait mieux quand je le disais.
 
Le mois de juillet passa vite, et déjà l’heure du retour pour la France sonna. Après l’avoir chaleureusement remercié, nous nous fîmes la promesse mutuelle de continuer dans un avenir proche si Dieu le veut de continuer à nous voir quand cela sera possible, et faire en sorte que les générations futures prennent conscience de la richesse du patrimoine rifain. Ainsi la torche du Rif ne s’éteindra pas.
 
Dans une société qui a cédé aux sirènes du conservatisme et dans laquelle, le chanteur, amedyaz est devenu quasiment une insulte, redonnons toute sa place à celui ou celle qui sait déclamer, chanter et raconter.

Manis kin ighanijan nzmane
Ouran itoura yakhoun iyizrane
Rwa9t ni thoussad thigwaj khafnar
Tharyouri niwdha thne9anar
 
Ikhsa adan fakar ighanijane, izrane i9dhimane
Bach aden sa9ar ouranechine ayithma isma imazighane
Mara chanijane itghanaj wa dasntich bou idoubaz
Ranechine asnawch amchane ioumadhyaz

 
Anass ASSANOUSSI

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